• Altérité : l'autre, mon frère ou mon ennemi ?

    Je livre ci-dessous une réflexion sur l'altérité, la différence, qui m'est venue à la lecture d'un livre que j'ai lu avec délectation : "La bonté humaine", du psychologue Jacques Lecomte. L'auteur y met la lumière sur le côté positif de la nature humaine, et contredit, faits et études scientifiques à l'appui, l'idée selon laquelle "l'homme est un loup pour l'homme" (Thomas Hobbes).

     

     

    Savoir le rapport que l'on entretient avec les autres est l'une des questions existentielles principales pour un individu1.

    L'autre, c'est celui qui n'est pas moi. Et c'est notamment celui qui est différent de moi. La personne de couleur pour le blanc, la femme pour l'homme, la personne âgée pour le jeune, l'handicapé pour la personne valide, le chrétien pour le juif, le mec de droite pour le mec de gauche, l'écolo pour l'anti-écolo... Comment je vis avec l'autre ? Comment je me comporte vis à vis de lui ?

     

    A la lecture du livre de Lecomte, on s'aperçoit en fin de compte, que chez une personne, la bienveillance, la gentillesse, la bonté, la solidarité, l'altruisme, la générosité... ces formes particulière de rapport à l'autre, aux autres, ces postures, tout cela provient d'une seule et même racine : sa capacité d'empathie. Cette capacité est quelque chose d'ancré dans le corps, d'inaliénable. Qui met en lien automatiquement, sans que l'on y pense, avec ce que l'autre vit. On le comprend, on est touché par ce qu'il vit, et, par suite, on partage ses émotions et ses sentiments (sa colère, sa joie, sa tristesse, son amertume, son engouement...).

     

    L'empathie c'est ce qui nous fait établir automatiquement ce lien avec l'autre. Et ce lien, c'est le lien d'humanité, ou de fraternité. Notre corps nous dit que l'autre est pareil à soi (sans que nous en ayons conscience). L'empathie fait que l'on reconnaît l'autre comme son semblable, comme son frère, malgré la différence. Que l'on a cette humanité en commun. Et l'on en déduit, sans processus mental encore une fois, que l'autre a les mêmes besoins que soi (affection, récréation, sécurité, calme...).

     

    Bien sûr, on le sait bien, on ne l'oublie pas, l'autre est différent de soi. Mais l'empathie réalise le défi de dépasser cette différence. L'autre est à la fois différent, mais proche de soi. On reconnait que, comme soi-même, il est précieux, qu'il a de la valeur. La même valeur que soi, ou tout comme. Nous sommes équivalents. Il est digne d'attention, de respect. Et du coup on a envie de lui être agréable, utile. On fait pour lui comme on ferait pour soi-même (corollaire de la phrase célèbre : "ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l'on te fasse").

     

    A l'inverse, être méchant, faire du mal à l'autre intentionnellement, ne pas le respecter, ne pas respecter ses besoins, ou tout simplement ne pas faire attention à lui, ne pas pressentir ce qu'il peut ressentir, ne pas être sensible à ce qu'il vit, être indifférent... tout cela découle d'une absence de lien avec l'autre, d'un défaut d'empathie. Si l'on pense, comme moi, que ce lien, l'empathie existe en nous dès nos premiers mois de vie, ces comportements découlent plus précisément d'une rupture de ce lien à un moment donné de notre vie, d'une perte d'empathie.

     

    L'absence totale d'empathie est ce qui définit le psychopathe : il est totalement indifférent à la souffrance de sa victime. Les cas de barbarie sont aussi une absence d'empathie : celui qui comment des actes barbares, sans aucune auto-censure, n'est plus relié à sa propre humanité, ni à celle de sa victime.

    Une autre dérive de la perte d'empathie, c'est de ne voir que la différence de l'autre, et qu'elle nous fasse peur. C'est la phobie, qui est au départ une crainte mais qui peut sous-tendre de l'agressivité vis à vis de l'autre2.

     

    L'écueil surtout qui semble constituer un penchant dans la nature humaine est le suivant : les hommes peuvent avoir tendance à transformer la différence en inégalité, en hiérarchie, en domination, en exploitation, en assujettissement, en cause de brimade ou de violence, voire d'extermination. Les hommes dominent les femmes, les grands piquent les desserts des petits à la cantine, les natifs font faire le sale boulot aux immigrés, les valides ne conçoivent pas les voiries pour les handicapés, les blancs mettent les noirs en esclavage, les homophobes vont "casser du pédé", les hutus et les tutsis se massacrent, idem pour les catholiques et les protestants, les chiites et les sunnites...

     

    L'un des défis de l'humanité consiste à ne pas transformer la différence, les différences, en inégalité, en hiérarchie, en domination, en exploitation, en violence, en massacre. A faire en sorte que le fait - incontestable ! - que l'autre soit différent de soi ne nous conduise pas à oublier qu'il est aussi notre semblable. A maintenir, et même développer notre capacité d'empathie. A rester en lien avec lui, et, au final, à le respecter, malgré la différence. En un mot : à l'aimer. Aimer l'autre. Aimer les autres. Tous les autres. Sacré défi...

    Respect est pour moi synonyme d'amour : on aime ce que l'on respecte et l'on respecte ce que l'on aime.

     

    C'est d'ailleurs le même défi qui se pose en matière d'écologie. Ne pas se soucier des questions écologiques, ne pas "respecter l'environnement", exploiter la nature au delà de ses capacités de régénération, tout cela vient du fait que l'on place la nature comme quelque chose d'étranger, d'extérieur à nous, de foncièrement différent, que l'on considère que la nature n'a pas de valeur intrinsèque. A l'inverse, avoir un comportement écologique c'est respecter la nature, parce qu'on l'aime. C'est parce que l'on se sent relié à elle qu'on lui prête attention. Comme à son frère ou à sa mère. La métamorphose correspond ainsi à l'atteinte d'une nouvelle dimension dans l'amour, dans l'empathie.

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    1  C'est, pour moi, la deuxième question existentielle. La première étant : quel rapport est ce que j'entretiens avec moi-même ? La troisième : quel rapport est ce que j'entretiens avec la nature qui m'environne ? La quatrième : quel rapport est ce que j'entretiens avec le monde invisible dans lequel je crois baigner ? (le restant de l'Univers, Dieu et les forces et intelligences supérieures, les autres dimensions...).

    2  Les mots en -phobie ont un double sens : les xénophobes, les homophobes,... n'ont pas peur des étrangers ou des homosexuels mais sont susceptibles d'avoir des comportements malveillants à leur encontre et notamment de les agresser. On est plus d'ailleurs plus cléments avec les insectes : les arachnophobes ont, eux, vraiment peur des araignées, et les fuient, et ils répugnent je crois à les approcher pour les tuer...!

     

     


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