• C'est décidé : je ne regarderai plus de films violents

    Ce matin, c'est décidé : je ne regarderai plus de films policiers, films de gansgsters, thrillers, films de guerre... et de films violents en général1. Marre des coups, des passages à tabac, des gros flingues et des mitraillettes, des meurtres gratuits, des balles dans la tête ou ailleurs, marre de l'hémoglobine, des cadavres en pagaille, des zooms morbides sur les chairs explosées, brûlées, découpées... Marre des viols. Marre de cette violence perpétrée froidement, sans scrupule, sans émotion, comme naturellement. Et qui en devient d'une incroyable banalité. Marre de la testostérone pure, de la méchanceté, de la barbarie, du cynisme, de l'inhumanité... Ca suffit ! La paix !!

     

     

    Je commençais depuis un certain temps à être lassé des films violents, puis gêné, puis légèrement écoeuré, et de moins en moins consentant. Et hier soir, en train de regarder, pour la première fois, le film de Sergio Leone "Il était une fois en Amérique" (par ailleurs loin d'être excellent cinématographiquement parlant), après le deuxième viol du film en moins d'une heure – deux viols non pas évoqués mais filmés presque en temps réel – j'ai arrêté la télé2. C'était trop ; j'étais véritablement saturé. Ca débordait ! J'ai ressenti aussi de l'énervement, contre moi-même. Je m'en voulais d'avoir passé et perdu du temps à regarder cette chose laide et au fond sans intérêt, qui me procurait plus de déplaisir que de distraction.

     

    Je ne crois pas avoir jamais pris plaisir à regarder la violence, et encore moins l'avoir recherchée. Mais le fait est qu'elle est là, autour de moi, autour de nous, depuis l'enfance, dans la production "tout venant" du monde moderne, qu'il s'agisse des jouets, des films, des livres, des jeux vidéo, etc. Comme quelque chose de normal.

    Cette norme – celle de l'omniprésence et de la sur-représentation de la violence dans la production culturelle – a fini par m'interpeller. Pourquoi les romans policiers et thrillers figurent-ils parmi les best-seller ? Pourquoi assiste-t-on actuellement à cette profusion de séries policières à la télévision ? Pourquoi une telle proportion de séries policières, ou de "dimension policière", dans les séries produites ? Pourquoi cette dimension semble-t-elle indispensable pour assurer le succès d'une série ou d'un téléfilm3 ? Pourquoi regarde-t-on ces séries ? Qu'est ce qu'elles nous apportent ? Pourquoi un tel succès des jeux vidéo ultra-réalistes (du moins dans le graphisme...), consistant uniquement à dégommer ad nauseam un flot sans fin de "méchants" et d'affreux, avec toutes les armes possibles et imaginables ? La réalité qui nous entoure n'est-elle pas suffisamment violente ? N'y a-t-il pas assez de vraies guerres, de vrais meurtres, de vrais massacres, de vrais viols ?

     

    Bien sûr mon quotidien, et le quotidien de la plupart des occidentaux, n'est pas directement et en permanence rempli de la violence réelle ; mais la violence est là, à côté, même quand cet à côté est à des milliers de kilomètres de nous, et elle nous affecte. Cela reste toujours des êtres humains, des semblables, embourbés, plus ou moins volontairement, dans cette violence, dans cet archaïsme. Ce qui les touche ne peut pas nous laisser complètement indifférents, car l'empathie et la compassion sont, qu'on le veuille ou non, une des composantes de notre humanité. La violence des "actualités" nationales et mondiales jaillit hors de l'écran, du journal ou du poste de radio, et nous pénètre. En écoutant les "informations", et particulièrement en regardant les images, nous absorbons quotidiennement une dose de violence réelle. Franchement, je ne sais pas comment notre psychisme se débrouille avec tout ça... Pourquoi alors choisir, volontairement, de nous confronter à une violence supplémentaire, même si elle est fictive ? Et au final, nous nourrir quotidiennement d'images violentes ? Cette sur-représentation de la violence fictive aurait-elle pour but d'exorciser la violence réelle ? Ou, au contraire, la violence fictive n'amène-t-elle pas de l'eau au moulin de la violence réelle ?

     

    Je remarque par ailleurs un paradoxe assez fort : c'est que la violence réelle, on n'en veut évidemment pas dans nos vies. Il règne parmi la population un sentiment – plus ou moins fondé – d'insécurité ; on redoute les vols, les attaques à main armée, les viols, les serial killer, les rackets... On les scrute avidement dans les journaux. Cela fait peur. Car ces choses arrivent, de temps en temps, ici ou là, à d'autres, mais, demain, c'est nous ou nos proches qui sommes susceptibles d'être frappés, d'être les victimes. On dénonce la montée présumée de l'insécurité et de la délinquance, le laxisme ou l'incompétence de la police et de la justice, on réclame plus de protection à l'Etat. Et après le journal télévisé du soir, comme si de rien n'était, nous maintenons allumé notre poste de télévision pour reprendre de bon cœur une bonne dose de violence fictive avec notre série policière favorite ! On invite les meurtriers dans notre salon... Et, avant de nous endormir, nous compulsons les pages du dernier roman de gare à la mode pour savoir si Sandy va se faire égorger avec un ouvre-lettres dans la pénombre ou si elle sera simplement étranglée à mains nues...

     

    Je pense qu'il y a lieu de s'interroger sur notre goût pour la violence, qui est presque, pour certains, une passion, même inconsciente. Pour ma part, mon choix est fait. Je sais que la violence fictive continuera d'exister, et que je n'y échapperai pas complètement. Je vais rester cinéphile4, mais serai plus sélectif, plus attentif à mes choix, à l'usage de mon temps. Il ne s'agit pas pour moi de ne regarder désormais que les pures romances et les dessins animés des Bisounours ! Je ne veux pas faire l'autruche, nier la violence : mais je ne veux plus me laisser emplir par elle, et ses mauvaises ondes. Et aussi, je ne veux plus continuer à soutenir, à acquiescer à cette violence fictive, et alimenter la violence réelle qui règne à la surface du globe. Je n'ai plus envie de stimuler la partie de moi qui se complaît dans cette violence, mais la partie de moi qui tend à la joie, à la paix, à la construction, à la confiance (opposée à la peur)...

    Si la violence est gratuite, nous sommes libres de la prendre, ou de la laisser !

     

    Et si c'était ça aussi, la métamorphose ? Sa propre métamorphose ?

     

    *********

    1   Idem pour les livres, mais j'étais déjà peu attiré par les "polars" et n'en lisait que très peu. Quant aux livres d'horreur, je n'ai jamais eu envie d'en lire.

    2  L'envie de connaître la suite, de connaître la fin de l'histoire, me fait pourtant d'habitude tenir jusqu'au bout, même quand le film n'est pas bon, quitte à avancer en accéléré... Idem pour les livres. Il faut que l'œuvre soit vraiment de piètre qualité pour que j'accepte d'arrêter avant la fin. Le principe de base de la dramaturgie qui est de "donner envie au lecteur / spectateur" de savoir ce qui va se passer après" fonctionne assez bien avec moi...

    3  L'exemple le plus frappant selon moi de cette apparente nécessité de la dimension policière est visible dans l'évolution apportée à la série "Plus belle la vie", projetée dès septembre 2004 sur France 3. Initialement, comme le nom de la série l'indique, le projet était celui d'une chronique sur la vie "normale", et "belle", des habitants d'un quartier marseillais, les relations humaines, les vicissitudes familiales, etc. Très rapidement, les producteurs se sont aperçus qu'avec ces éléments là seuls l'audience n'était pas au rendez-vous. Sachant qu'aujourd'hui, même sur le "service public", une "production culturelle" n'a de sens que si elle elle rapporte de l'argent (ici par le biais de la publicité) et qu'elle doit donc bénéficier d'une large audience pour exister ou perdurer, les producteurs ont complètement réorienté le projet : ils ont ajouté à la série – car c'est un produit industriel – une bonne dose d'intrigues policières. Les meurtres et les histoires sordides se sont multipliés dans le quartier du Mistral. Vraiment plus belle la vie ?

    4  Pourquoi je suis cinéphile (et littératophile !), cela mériterait un autre développement, que je ne prends pas le temps de faire maintenant.

     


  • Commentaires

    1
    Mardi 11 Décembre 2012 à 20:48

    C'est pourtant simple, t'aimes pas la violence, ne regarde pas (personne ne t'oblige à regarder), d'autres aiment ça, qu'ils en regardent !


    J'aime les polars, séries et films violents (mais pas seulement), j'en regarde très souvent... et alors ? Ca ne me rend pas plus violent, bien au contraire, je ne suis absolument pas violent dans la vie réelle, et cette violence fictionnelle me permet un "défoulement"... qui sait, peut-être que sans films / séries / livres violents, j'aurais besoin de chercher ma "dose" de violence ailleurs, dans la réalité...


    Nos sociétés occidentales ne sont pas particulièrement violentes, nous n'avons pas à nous battre chaque fois que nous sortons de chez nous, que nous nous promenons en ville... la majorité de la population n'est quasiment jamais confrontée à de la vraie violence... mais nous vivons dans une relative insécurité, car les médias sans cesse font les gros titres d'actes de violence, qui relèvent plus de l'exceptionel que du quotidien des individus. La violence dans la fiction, c'est aussi un moyen d'exorciser, de se "rassurer" en quelque sorte, en anticipant une violence à laquelle nous craignons d'être confrontés. On préfère s'y préparer, sait-on jamais, que d'être pris complètement au dépourvu... 


    Et même si nous sommes parvenus à créer des sociétés relativement pacifiques, ou la violence physique entre individus est sanctionnée, et désignée comme mauvaise... la nature est violente. Les plus gros animaux mangent les plus petits, les mâles se battent pour se disputer les faveurs des femelles, chacun défend son territoire becs et ongles. La violence est en nous, parce qu'elle est dans la nature. Il ne s'agit pas de la valoriser, mais de la canaliser, de l'exprimer par des moyens détournés, fantasmatiques, telle la fiction. Après, à chacun de faire comme il l'entend... à partir du moment où il est adulte, bien sûr, on ne laisse pas un enfant fréquemment devant des oeuvres violentes.

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