• Covid-19 : deux morts au tournant

    Un article que j’avais ébauché en novembre 2019 puis mis de côté, et qui vient de "ressusciter" en cette période. Ce sera aussi mon premier article sur le covid-19 et ses conséquences (comme quoi je suis long à la détente !)

     

    La pandémie qui frappe l’humanité depuis janvier 2020 amène je crois chacun.e. d’entre nous à 2 prises de conscience, avec les sentiments associés.

     

    La première prise de conscience, c’est celle de notre vulnérabilité personnelle, de notre fragilité, du caractère précaire de notre existence, de son caractère fini. La pandémie nous rappelle, si besoin était, que nous sommes mortels…

     

    Covid-19 : deux morts au tournant

    Bien sûr, le "COVID-19" n’a pas le taux de létalité de la peste, pour ne prendre que ce seul exemple1. Cependant la propagation du virus et l’augmentation des victimes de par le monde, malgré les mesures mises en place par les gouvernements, montre bien à chacun.e qu’il n’est pas à l’abri de la maladie, et pas forcément à l’abri de complications, voire de la mort.

    Drôle de période que ce printemps 2020 où la vie renaît autour de nous – les bourgeons percent et s’épanouissent, les oiseaux chantent jour et nuit2 - mais où, en quelque sorte, la mort rôde, elle aussi pas très loin de nous…

     

    Covid-19 : deux morts au tournant

     

    Certes, la létalité reste limitée, et de ce fait n’engendre pas une anxiété démesurée, ni une psychose collective ; mais tout de même. Les contraintes très fortes imposées par les gouvernements du monde entier, de manière exceptionnelle3, et le fait que globalement ces contraintes sont respectées par la très grande majorité de la population, reflètent la gravité de la situation sur le plan sanitaire, ne serait ce que potentiellement4.

     

    Cela diffère évidemment d’un être à l’autre, mais chacun.e peut se dire en ce moment, plus qu’à d’autres moments de son existence : je peux mourir ; l’un de mes proches peut mourir5.

     

    Ce n’est certes pas une découverte !! Cependant, au-delà de tous les mécanismes assurantiels que les plus aisés d’entre nous peuvent acheter sur le marché, à quel point cette vérité intemporelle est-elle intégrée en nous ? (je parle, comme toujours, des individus des sociétés occidentales, de la société française en particulier) A quel point la mort fait-elle partie de nos vies ? Qu’est-ce que la conscience de notre propre mortalité change dans nos existences, dans notre manière de vivre ?

     

    Le moment très particulier que nous vivons remet sur la table ces questions, qui habituellement sont reléguées à l’arrière-plan ; plus ou moins consciemment… Nous n’avons pas envie de penser à la mort, pas envie d’en parler. Et, de fait, nous n’y pensons pas, nous n’en parlons pas ! Sauf quand cela devient incontournable ! La mort nous fait peur, et nous ne l’aimons pas. On pourrait dire que nous sommes thanatophobes ! Je l’ai déjà dit : notre société occidentale se caractérise par un refus assez prononcé des limites, et des premières d’entre elles : le vieillissement et la mort.

     

    Je pense au contraire qu’il est tout à fait sain, voire utile, d’approcher, individuellement et collectivement, les questions liées à la mort, qui amènent évidemment aux questions existentielles et métaphysiques. Ces questions permettent en effet, d’une part d’ancrer l’individu (le bas), et, d’autre part, de l’ouvrir sur la métaphysique et la spiritualité (le haut). Il n’est peut-être pas nécessaire de frôler la mort pour interroger sa philosophie de vie, ses choix de vie, ses comportements, sa manière d’être au monde6. Opportunément, la réémergence de ces questionnements est un autre des effets salutaires du moment que nous vivons.

     

    La seconde prise de conscience à laquelle la crise du COVID-19 peut nous amener c’est la conscience de la vulnérabilité7, de la fragilité, du caractère précaire de notre civilisation8 ; de son caractère fini. Cette crise nous fait prendre conscience que notre civilisation industrielle9 n’est pas éternelle, qu’elle aura une fin… Et, plus précisément, que cette fin n’est pas une échéance lointaine, mais qu’elle est susceptible de se produire de notre vivant...

     

    Comme notre mort à tou.te.s, la fin de la société industrielle est imprévisible. Mais savoir qu’elle arrivera un jour est une information importante. Notre civilisation, que d’aucuns pouvaient croire parachevée, peut s’effondrer demain ou après-demain, sous l’effet d’un virus, ou aussi bien d’un battement d’ailes d’un papillon… La covid-19 ravive un syllogisme quelque peu objet de déni : toutes les civilisations sont mortelles ; la civilisation industrielle est une civilisation ; donc la civilisation industrielle est mortelle… ! Notre Titanic n’est pas insubmersible...

    Covid-19 : deux morts au tournant

     

    Pour le coup, il s’agit bien d’une prise de conscience, car c’est probablement une découverte pour un grand nombre d’êtres humains… Avant la crise du covid-19, seules quelques personnes – celles et ceux que l’on appelle les collapsologues – avaient osé avancer cette idée de l’effondrement. Pour le reste de l’humanité, et notamment pour l’écrasante majorité des intellectuels, il faut croire que la question ne s’est jamais posée… Les limites de la civilisation occidentale ou industrielle, la possibilité de l’effondrement constituaient un impensé (déni ? Aveuglement ?).

     

    Plus exactement, les collapsologues ont prédit que l’effondrement arrivera un jour pas nécessairement lointain. Sur la base d’un travail scientifique systémique et rigoureux, ils ont fini par démontrer ce que quelques générations d’écologistes, d’économistes, de philosophes et autres avaient intuité : que, structurellement, notre monde courait à sa perte. J’en ai parlé dans quelques articles (Un moment unique et Croire au Père Noël ou pas).

     

    Fin 2019, ces prédictions commençaient à avoir un peu de retentissement. Un peu… Dans un monde noyé sous des tonnes d’informations et de signaux.

    Cette fois, pas besoin d’écrire un livre pour démontrer l’effondrement : tout le monde assiste en direct à la démonstration ! CQFD ! Un minuscule caillou peut gripper une mécanique formidable. C’est-à-dire qu’il met en péril et peut abattre toute l’économie, i.e. la façon dont nous répondons à nos besoins, à commencer par nos besoins vitaux. Tout ce qui est aujourd’hui facilement accessible ne le sera peut-être plus demain. Et si les besoins vitaux ne sont plus assurés, cela signifie là aussi que la mort est au tournant… Avec une mortalité bien supérieure à celle causée par le covid-19...

    Oui, un caillou peut abattre toute l’économie, et avec elle, toutes les autres structures –

    politiques, culturelles, sociales – associées à cette économie (industrielle). Ce qu’on peut appeler l’effondrement de la civilisation.

     

    Alors, je ne sais pas si le Covid-19 constitue l’élément déclencheur de "l’effondrement", c’est-à-dire si ce que nous sommes en train de vivre correspond au début de l’effondrement, mécanisme qui ne peut être que progressif. Je ne sais pas, et personne ne peut savoir. Mais quand bien même le système économique se remettrait assez vite de l’épidémie et qu’il repartait comme avant, la question serait : pour combien de temps ? L’ébranlement10 généré par le coronavirus ressemble fort à un précurseur ; au premier cancer d’un être humain qui sera emporté par la deuxième ou troisième rechute. Même s’il en réchappe cette fois, l’issue fatale du système industriel est devant nous. Car la vulnérabilité du système et les menaces tant internes qu’externes (changement climatique, effondrement de la biodiversité…) demeurent bien présentes.

     

    Comme la perspective de notre propre mort, la perspective de l’effondrement de notre civilisation est extrêmement angoissante11. On ne sait trop comment s’y préparer… Des collapsologues français y ont réfléchi, je vous renvoie à leur ouvrage : "Une autre fin du monde est possible".

    Covid-19 : deux morts au tournant

     

    Reste que cette prise de conscience est, elle aussi, une opportunité pour se poser collectivement les bonnes questions concernant l’organisation de notre société, et pour engager une mutation profonde. J’ai envie de dire, pour parler comme les enfants : "Et on disait qu’il était encore temps"...

     

     

     

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    1 Pour faire écho au roman célèbre d’un écrivain célèbre et qui me touche particulièrement...

    2 Si pour les humains ce chant est un plaisir et un signe des plus agréables, n’oublions pas que, pour leurs auteurs, le "chant " a uniquement un rôle fonctionnel. Et que si le chant des oiseaux est bien le signe de la Vie qui anime ces petits êtres, il est surtout un geste de survie… La Vie, pour les animaux, est peut-être avant tout un combat permanent pour la survie de l’individu et de l’espèce (chercher à manger, éviter de se faire manger, et spécialement, s’agissant du chant : attirer un.e partenaire, défendre un territoire vis à vis de ses concurrents). Le printemps de oiseaux n’est pas aussi angélique que cela...

    3 La moitié de la population mondiale serait confinée (Le Monde, 25/03/2020, selon chiffres AFP).

    4 J’ai compris que la stratégie du gouvernement français, pour ne parler que de lui, vise à contenir le développement de la pandémie au sein de la population, pour éviter en premier lieu la saturation des hôpitaux, puisque l’impossibilité de soigner les malades conduirait au final à une "explosion" de la mortalité. Dans un premier temps, la gravité de la situation n’est donc pas tant le nombre de morts, que le nombre de lits occupés par rapport au nombre de lits disponibles (compte tenu des moyens accordés aux hôpitaux avant la crise…). Une fois cette limite atteinte, le nombre de mort risquerait de décrocher de manière fulgurante.

    5 Je ne sais pas pour vous, mais en tous cas, ces pensées sont bien présentes en moi en ce moment !

    6 Frôler la mort peut amener à ces questions, mais pas forcément ! Cela dépend si le déclic a été assez fort pour ébranler notre imaginaire. Question de rapport de force entre la force du choc et la solidité de notre imaginaire.

    7 E. Macron a employé le mot lors de son allocution du 13 avril 2020. Lui aussi en a donc pris conscience ! (N.B. : cet article a été écrit avant l’allocution...)

    8 J’entends par civilisation l’imbrication des structures économiques, techniques, sociales, politiques et culturelles de notre société.

    9 A défaut de terme optimum pour résumer notre civilisation dans sa globalité, ce qui est impossible, c’est le terme que je retiens pour qualifier notre civilisation.

    10 Je reprends le mot employé par Emmanuel Macron le 13/04/20, qui me paraît assez juste.

    11 On devrait parler en sus de l’éco-anxiété (ou solastalgie), liée à la destruction de notre environnement.

     

     

     


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