• Changement climatique : la vérité qui dérange (toujours...)

    La vraie nature du climato-scepticime

     

    Le dernier rapport du GIEC (groupement intergouvernemental d'études sur le climat) paru fin septembre confirme les précédents : un changement climatique est bien en cours, et l'homme y est pour quelque chose1. A discuter autour de moi, à écouter les auditeurs de l'émission "Le téléphone sonne" sur France Inter, à lire les commentaire des internautes sur des articles sur le sujet, j'ai la nette impression que la majeure partie de mes concitoyens "a des doutes", et que bien peu adhèrent aux conclusions du groupe d'experts, c'est le moins qu'on puisse dire. En clair : je crois que la majeure partie de mes concitoyens est ce qu'on appelle "climato-sceptique".

    Le groupe des climato-sceptiques n'est pas uniforme.

    Il y a d'une part ceux qui "ne savent pas trop". Ce n'est même pas le "pt'êt ben que oui, p'têt ben que non" des Normands, cela ressemble à une sorte de gros point d'interrogation dans leur tête, ou plutôt à une zone de brouillard. Et j'ai l'impression que peu parmi eux ont envie d'aller dissiper cette brume cérébrale...

    Je trouve cela assez regrettable, pour les citoyens que nous sommes censés être, de ne pas "savoir quoi en penser", de ne pas se positionner. Surtout compte tenu des implications de la question (ne serait-ce que pour les montants importants d'argent public que les Etats et collectivités territoriales dépensent autour de la lutte contre le changement climatique et la "transition énergétique"). A l'ère d'Internet, on ne peut pas dire que les informations nécessaires pour se positionner – dans un sens ou dans l'autre – ne soient pas disponibles. Faire le tri dans cette masse d'informations est certes difficile, la question climatique est certes complexe, mais il me semble quand même largement possible, en se mettant à l'écoute de soi-même, et en voyant les informations qui résonnent en soi, de se faire une idée sur le changement climatique.

    Une autre part des climato-sceptiques, elle, se positionne clairement : un premier sous-groupe croit qu'il n'y a pas de changement climatique ; un second sous-groupe concède que le climat est, peut être, en train de changer, mais ces personnes là nient en tous cas toute responsabilité des activités humaines dans ce phénomène . Et, c'est cela qui est important au final : pour ces personnes le changement climatique n'est donc pas un problème ; ce qui ramène les deux sous-groupes à la même position, c'est à dire au refus d'engager des mesures pour contrer le changement climatique.

    Plusieurs "arguments" sont utilisés par ces climato-sceptiques.

    Une première série d'arguments relève vraiment du scepticisme, dans un posture scientifique, ou tout comme :

    • "Il n'y a aucune certitude scientifique derrière les affirmations du GIEC"

    • "Certaines prévisions du GIEC sont erronées ; ses travaux ne sont pas fiables"

    • "Le GIEC dissimule les faits et les études qui sont contraires à sa théorie"

    • "S'il y a un changement climatique il est causé par la nature, pas par l'homme"

    • "Le changement climatique, la responsabilité humaine, tout cela n'est pas prouvé. La théorie du changement climatique anthropique est montée de toutes pièces."

    (j'examine ces arguments dans le détail dans cet autre article : Climato-scepticisme : arguments et contre-arguments).

     

    Une seconde série d'arguments, employée pour attaquer les discours autour de la lutte contre le changement climatique et la réduction des gaz à effet de serre, se situe en fait au delà du strict scepticisme, au delà du débat scientifique sur la question "y a-t-il un changement climatique (anthropique) ?" :

    • "On nous bassine avec ces histoires de changement climatique"

    • "Après tout, le changement climatique aura des effets bénéfiques"

    • "Les vrais problèmes sont ailleurs."

    • "Les mesures prises par les gouvernement sont totalement inefficaces"

    • "Les mesures contre le changement climatique coûtent trop cher"

    • "La lutte contre le changement climatique va à l'encontre des intérêts de tout le monde"

    (voir l'article Climato-scepticisme : arguments et contre-arguments)

     

    Ces arguments portent sur la pertinence de la lutte contre le changement climatique et de l'enclenchement de la "transition énergétique". On peut remarquer que ces arguments sous-entendent que les climato-sceptiques admettent, à demi-mot, qu'il y a bel et bien un changement climatique...

    C'est surtout avec le dernier argument que l'on peut comprendre la vraie nature du climato-scepticisme. On voit bien que, dans le fond, les climato-sceptiques ont un problème, non pas tant avec ce qu'affirme le GIEC ("il y changement climatique, et l'homme en est responsable, de par son mode de vie actuel") qu'avec les conséquences logiques de cette affirmation. Le problème c'est que cette affirmation remet en question notre mode de vie.

    L'expression "climato-sceptique" est en définitive inappropriée : ce qui définit les climato-sceptiques, dans le fond, ce n'est pas leur scepticisme vis à vis d'une théorie scientifique, c'est leur refus de remettre en question le mode de vie occidental. Le débat autour du changement climatique n'est pas un débat sur le climat, c'est un débat sur notre mode de vie, sur ses implications écologiques et sur sa pérennité2. Je suis persuadé qu'en fait les climato-sceptiques sentent bien au fond d'eux-mêmes que notre mode de vie pose problème ; mais ils ne veulent pas l'admettre.

    En tous cas, ils l'ont bien compris : "éviter ou contenir le changement climatique dans des limites acceptables pour nos sociétés" implique "réduire nos émissions de gaz à effet de serre", implique "changer radicalement notre mode de vie". Et c'est là qu'est le vrai point de blocage : dans le lien entre le changement climatique et notre mode de vie. C'est là que le climato-scepticisme confine à l'hostilité ; contre le GIEC, contre les écolos, contre les mesures gouvernementales de lutte contre le changement climatique, et notamment la fiscalité écologique.

    C'est que le changement de mode de vie, le changement radical de société qu'implique la prise de conscience du changement climatique est bel et bien repoussé par la majorité de la population ; qu'il s'agisse :

    • de ceux qui dirigent le système économique, fondé sur l'accumulation de richesse et la croissance perpétuelle, c'est à dire de ceux qui en bénéficient,

    • de ceux qui reçoivent les miettes et la promesse de pouvoir eux aussi, un jour peut être, de s'enrichir.

    La majorité de la population freine des quatre fers et se met en colère contre l'idée même d'aller dans la direction de la régulation de l'économie, de la sobriété, de la modération, en somme : de la décroissance, de la métamorphose.

    Tout d'abord, pour ceux qui reconnaissent à demi-mot qu'il y a un problème, l'argument qui est opposé aux écologistes est du type : "La solution ne peut se faire dans la contrainte". La lutte contre le changement climatique, la transition énergétique, tout cela apparaît en effet comme une enfreinte intolérable à la liberté. Une liberté qui est surtout – société de consommation oblige – la liberté de consommer3... Liberté de consommer en paix. Consommer des déplacements en voiture et en avion ; consommer de la viande à tous les repas ; consommer des outils high-tech ; consommer du fioul pour chauffer sa maison à 22°C en hiver ; etc.

    Ce qui est derrière cette posture des climato-sceptiques, c'est clairement le refus de la limitation, de la limite4, le refus de la frustration ; c'est une posture naturelle, certes ; mais une posture d'enfant plus qu'une posture d'adulte...

    Ce qui est notable, c'est que ce refus de s'auto-limiter, de s'auto-modérer, est transformé par les climato-sceptiques en argument, l'argument ultime : "Arrêtez avec votre changement climatique ! Personne ne veut abandonner son mode de vie ! Personne ne veut le doublement des taxes sur les carburants5, personne ne veut arrêter de voyager à l'autre bout du monde quand ça lui chante, personne ne veut renoncer aux tomates en janvier, personne ne veut se priver de téléphone 4G, etc."

    Certes, il y a déjà, tout simplement, la difficulté du changement, et la peur du changement, qui me semblent là aussi très naturelles, inhérentes à la psyché humaine. Et il y a la difficulté et la peur de ce changement là en particulier, énorme, unique : changer de mode de vie, changer de civilisation ! Je comprends parfaitement toute la difficulté qu'il y a, déjà, à remettre en question notre mode de vie, et, ensuite, à en changer ; à, clairement, devoir renoncer à certains aspects de ce mode de vie. Cette difficulté, je l'éprouve moi-même au quotidien ! Et je prends dans toute sa mesure la difficulté qu'il y a de mettre en place collectivement, et démocratiquement, un autre mode de vie, plus sobre en CO2 (notamment).

    Cependant, l' "argument" "Personne ne veut abandonner son mode de vie !" me paraît symptomatique : ce n'est parce que la solution est difficile qu'il faut nier le problème !

    Voilà ce que je crois : derrière tous les "arguments" qu'il présente, le climato-scepticisme n'est en fait rien d'autre qu'un déni de réalité ; un refus de la réalité, un refus des conséquences logiques qu'implique la vérité du changement climatique. Refus que le monde change. Refus que ce monde que nous connaissons – à bien des égards très confortable, très satisfaisant sur le plan matériel – que ce monde doive être abandonné, transformé, dépassé.

    Ce déni de réalité est semblable à d'autres que l'on peut observer dans la vie courante6. Le changement climatique anthropique est une vérité qui remet en question ce à quoi le gros de la population est attaché ; une "vérité qui dérange"7, une de celle que la psyché humaine n'est manifestement toujours pas prête à entendre8 et à admettre. L'entendre déclenche le déni, la politique de l'autruche, le négationisme9, voire l'hostilité.

    Pour un climato-sceptique, tous ceux qui viennent parler du changement climatique anthropique, passent pour des emmerdeurs, des empêcheurs de consommer en rond, des ennemis de la croissance, donc des ennemis du peuple (étant admis que "la croissance" est vitale au peuple). Ils irritent, ils agacent ; ils attirent l'animosité.

    Ce faisant, les climato-sceptiques confondent la mauvaise nouvelle et ceux qui l'apportent. Les "messagers" et les lanceurs d'alerte comme le GIEC et les organisations écologistes s'en prennent plein la gueule. Alors qu'ils ne sont pas responsables du changement climatique ! Ce sont des Cassandre modernes, condamnés à dire la vérité et à ne pas être crus, et même à être détestés pour ce qu'ils disent au monde.

    Les climato-sceptiques font feu de tout bois contre le GIEC et les autres. Tous les arguments sont bons, même les arguments les plus tirés par les cheveux. Il s'agit de contredire le GIEC, de le discréditer. A tout prix. Car la vérité qu'il assène n'est pas entendable. "Tu mens ! Vous mentez ! Ce n'est pas vrai !". Loin du scepticisme, le déni de réalité des "climato-sceptiques" est en fait un mécanisme d'auto-défense.

    S"ils n'étaient pas aussi répandus, je dirais que les dénis de réalité sont à la limite de la pathologie psychique. En tous cas, il s'agit ici aussi, pour moi, d'une posture d'enfant, d'une posture qui n'est pas digne d'adultes véritables, d'être humains responsables et bien dans leur peau.

     

    Conclusion

    Oui, je jette la pierre sur les climato-sceptiques... car leur posture me paraît "grave". Mais cela ne m'empêche pas de les comprendre, de partager leurs inquiétudes ; ces inquiétudes cachées derrière leur posture de scepticisme. Et j'ai envie de dire que si l'on veut s'engager collectivement dans la lutte contre le changement climatique et la transition énergétique, et la métamorphose (!), il est indispensable de prendre grandement en considération ces blocages, ces freins, ces résistances.

    Enfin... il faut certes être réaliste et ouvert, et prendre les personnes là où elles en sont, mais le réalisme ne doit pas être synonyme de défaitisme et d'inaction. Il faut garder l'envie d'avancer, de progresser, il faut avoir de l'ambition, et penser à l'avenir. C'est à l'Etat et à tous les acteurs qui travaillent pour le bien commun de tirer les individus et la société dans son ensemble vers le haut ; de faire comprendre l'intérêt général, de mettre de l'huile dans les rouages, de dissiper les peurs, d'appeler au courage, et de favoriser la solidarité pour affronter les défis de notre temps.

     

    °°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

    1  Je vais être franc : je n'ai pas lu ce rapport du GIEC, ni les précédents ; pas directement. Mais j'ai lu depuis 1999 un certain nombre d'articles sur le sujet, d'interviews de membres français du GIEC. Cet article n'est pas celui d'un spécialiste, et je ne souhaite pas de toute façon rentrer dans le débat d'experts, avec moulte chiffres et force graphiques à l'appui de ma démonstration. Ce qui m'intéresse, c'est plus la dimension philosophique et psychologique de la question.

    2  C'est un débat qui porte littéralement sur l'écologie. Voir la définition d'écologie ici.

    3  La revendication de la liberté de consommer transparaît également ces temps-ci dans le débat sur l'ouverture des commerces le dimanche et les soirs de semaine. Que le code du travail prévoie des plages de fermeture des magasins, au nom de la protection des travailleurs, apparaît à certains comme une enfreinte à leur liberté de consommer quand bon leur chante. Voir l'article très bien vu de Charb dans Charlie Hebdo de fin octobre.

    4  Ce refus découle selon moi d'une part de notre "capacité" de désir, qui est, elle, quasi illimitée. Il est aussi relié à notre refus du vieillissement et de la mort, qui constitue la limite ultime.

    5  Voir actuellement – fin octobre 2013 – les oppositions violentes contre le projet d'éco-taxe.

    6  J'ai compris que j'étais enceinte mais cette grossesse est tellement ingérable pour moi que je fais du déni de grossesse. Je suis obèse mais je n'arrive pas à réprimer mes envies permanentes de manger, donc je nie que je sois malade; je vais très bien, ne vous inquiétez pas. Je suis persuadé que ma femme me trompe, mais cela m'est tellement douloureux de l'admettre que je préfère vivre avec et ne rien lui dire. Les médecins disent que mon tabagisme est peut-être en cause dans les problèmes respiratoires de ma fille mais je préfère croire qu'ils se trompent et je continue de fumer – qu'ils viennent pas me faire chier ! Etc.

    7  Le politicien étatsunien Al Gore a vu juste en choisissant ce titre pour son film dédié au changement climatique.

    8  Ce que l'on voit bien avec les critiques du genre "on en parle trop".

    9  "Pouvez-vous me prouver que les chambres à gaz ont existé ? Vous les avez vues, vous ?". Les négationnistes de l'holocauste utilisent le même genre de raisonnement que les climato-sceptiques : il n'y a pas de certitude scientifique, on en parle trop, c'est un point de détail de l'histoire...

     

     


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