• Le commerce, c'est du vol !

    Au delà de la provocation du titre, je vous livre mon point de vue, et vous laisse vous faire le votre...

     

     °°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

    INTRODUCTION

    Qu'est ce que le commerce ? Qu'est ce qu'une commerçante1 ?

    C'est quelqu'un qui dont l'activité principale consiste à acheter et revendre des marchandises, avec un certain travail entre les deux. C'est quelqu'un qui :

    • au départ de l'argent disponible (ce n'est pas le cas de tout le monde !), disons une certaine somme A,

    • achète des marchandises M,

    • revend ces marchandises, et obtient dont une somme d'argent A', sachant évidemment – c'est le but du "jeu" – que A' est supérieur est A.

    A est transformé en M, qui est ensuite transformé en A' (A → M → A'), c'est à dire au final que le commerçant transforme sa "mise de départ" A en A' (A → A').

    Tout le débat que je souhaite porter ici réside dans cette question : le commerce constitue-t-il pour les commerçants le moyen de vivre2 ou constitue-t-il principalement un moyen de s'enrichir " à moindre frais" ? En clair, et pour émettre tout de suite un jugement moral sur le fait de s'enrichir3 : est ce que le commerce est une activité honnête ?

    Cela réside évidemment dans les prix pratiqués par la commerçante (A'), et plus encore dans l'écart entre le prix d'achat des marchandises et le prix de vente (A' – A), bénéfice auquel il faut retirer les frais, c'est à dire l'argent dépensé par le commerçant pour rendre la vente possible (loyer des locaux, énergie pour le chauffage et l'éclairage, frais de publicité, matériel divers, etc.). Quand on a enlevé tout cela, il reste la fameuse marge du commerçant. Cette marge, j'ai envie de la voir comme le salaire du commerçant, la rétribution de son travail.

    [Précision : Je m'intéresse ici au destinataire final de la marge. Celle à laquelle profite finalement l'affaire. Dans le cas où le magasin emploie des vendeurs ou des caissiers, on retire de la marge les salaires versés ; il reste alors la marge nette du patron, qui souvent "se paye" plus grassement que ses employés. Je souligne par ailleurs que pour le ou les profiteurs finaux des bénéfices, l'argent touché ne correspond pas nécessairement à un travail. Souvent la destinatrice finale de la marge n'est que propriétaire du magasins ou du restaurant, sans y travailler elle-même4. De même, quand vous faites un achat dans un groupe constitué en société anonyme ("grande enseigne", "franchise"), vous payez au final les intérêts réclamés par les actionnaires de la société. Ils ne travaillent pas (ou pas tous), mais entendent quand même être payé pour avoir eu la gentillesse d'immobiliser de l'argent dont il n'avaient pas le besoin immédiat. Quand on achète quelque chose on paye donc aussi le "travail" de l'argent des actionnaires... C'est aussi la même chose quand le commerçant a contracté un prêt auprès d'une banque ; les intérêts faramineux que la banque exige pour avoir eu la bonté de créer de "l'argent dette"5 seront répercutés par le commerçants sur le prix de vente, donc sur les acheteurs. Dans ce cas là, vous payez aussi la banque ou plutôt ses actionnaires ; vous contribuez à leur enrichissement6.]

    Déjà, soyons bien clair : au delà de la provocation du titre de cet article, je ne remets pas en cause le principe bien connu du "toute peine mérite salaire"7. Et je consens très bien à ce que le salaire soit grosso modo proportionnel à la peine et au temps passé. Il est normal par exemple que le boulanger soit rétribué à la hauteur des longues heures passées devant son four, donc qu'il soit bien payé. Voilà ce que je souhaite : que les prix pratiqués par le commerçant lui permettent de retirer un revenu honnête pour le travail qu'il effectue.

    Mais, si la marge constitue la rétribution du travail du commerçant, j'ai envie de dire que, dans beaucoup de cas, les prix pratiqués, les marges et au final le revenu de la commerçante ne sont pas honnêtes. Et cela m'indigne.

     

    EXEMPLES 

    L'habillement. N'est ce pas là un secteur où sont pratiquées des marges indécentes ? Quand on voit que la plupart de nos vêtements sont aujourd'hui fabriqués à très bas prix à l'étranger, on ne peut que s'offusquer des prix pratiqués. Les fabricants sont allés au Maghreb, en Inde puis en Chine pour trouver une main d'œuvre à meilleur marché faire baisser le coût de revient. Les tenants de l'économie libérale justifient la mondialisation en disant que la délocalisation des activités de production sera au finale bénéfique au consommateur puisqu'il pourra se procurer les mêmes biens qu'auparavant pour un prix beaucoup plus faible. Outre le fait qu'on se demande comment le consommateur européen va pouvoir se payer ce dont il a besoin, même moins cher, si tous son emploi est délocalisé à l'étranger, vous aurez tous constaté que la baisse des prix de revient n'est pas toujours corrélée à une baisse équivalente des prix de vente... En clair : la mondialisation constitue une arnaque pour les consommateurs, et elle profite surtout aux commerçants (et à toute l'engeance des affairistes, boursicoteuses, investisseuses, négociants, courtiers, spéculateurs, business women, escrocs et tutti quanti8).

    Sur les vêtements, vous avez également constaté comme moi que la qualité se dégrade. Prenez par exemple les pulls : pour le même prix et même plus cher qu'il y a 10 ans, vous avez désormais un pull deux fois moins épais ! (pour contrer cela, je propose que l'on achète les vêtements au kilo !!) Votre pull sera bientôt usé et hors d'usage et il passera à la poubelle puis à l'incinérateur avant même que "la mode" ne l'ait décrété immetable9 !! Outre l'arnaque financière, il est évident que ces pratiques contribuent au gâchis écologique.

    J'ai envie de dire un mot aussi des restaurateurs : j'ai une dent contre la majorité d'entre eux ! Pour le même prix qu'avant, la plupart d'entre eux ne font plus la cuisine mais se contentent de réchauffer des produits fabriqués industriellement qu'ils ont acheté en masse, et de les mettre dans votre assiette. En clair : peu de travail mais beaucoup d'argent à la clé ! Voilà la malhonnêteté.

    Autre exemple : la bouteille de vin de table que vous payez 16 € au restaurant, alors que le patron l'a achetée 3 € au négociant10. Une fois enlevés les frais divers évoqués plus haut, il doit bien rester un écart confortable de plusieurs euros par bouteille. Est ce que le travail réalisé autour de ces bouteilles de vin justifie un tel écart ? Non.

    L'écart est d'autant moins justifié quand on tombe, ce qui est assez souvent le cas, sur des commerçants qui, paradoxalement, ne sont pas très "commerçants" ! (peu aimables, peu serviables, peu disponibles, médiocre qualité de service...). Mais, même bien fait, il faut avouer que le travail réalisé par les commerçants ne représente pas une grosse valeur ajoutée, et que les compétences mises en en jeu dans ce travail ne sont pas exceptionnelles. Je ne dis pas que les commerçantes n'ont aucun talent11 : certaines font leur métier d'intermédiaire entre les producteurs et les consommateurs avec sérieux et savoir-faire ; je dis que ces compétences et le travail concrètement réalisé ne justifient souvent pas des niveaux de marge et donc de revenu comme ceux que l'on observe parfois12. Là est la malhonnêteté, et l'injustice.

     

    CONCLUSION 

    Ma conviction est la suivante : il y en a qui se gavent. Les marges sont abusives. Les prix pratiqués sont trop élevés par rapport au travail effectué. En clair : en tant que consommatrices, souvent, on en a pas pour son argent. Quand on achète quelque chose on se fait arnaquer. L'échange n'est pas honnête, pas juste, pas équilibré . Il y a un gagnant et un perdant. L'enrichissement des uns se fait toujours aux dépends des autres.

    Souvent, le commerce c'est du vol13.

    Du vol légal. Certes, il existe des lois pour protéger le consommateur14 (contre la publicité mensongère, sur les normes minimum de qualité des produits, sur l'affichage des prix, etc.). Mais les femmes politiques ont beau jeu de se lamenter de la baisse du pouvoir d'achat des français : tant que l'on ne touche pas au droit des commerçants d'arnaquer les consommateurs, tant que l'on ne fixera pas de limite à la cupidité des commerçantes, i.e. tant que l'on ne remettra pas en question la capitalisme, le problème persistera. L'inéquité du commerce est consubstantielle à notre mode d'économie. La loi ne permet que d'éviter les effets les plus criants15.

    Et à la limite, il faut voir que dans une économie capitaliste, le commerce, la vente, ne sont que le prétexte à une extorsion d'argent d'une personne à une autre. Il ne s'agit pas tant de vendre des choses à d'autres personnes que de s'enrichir. Et peu importe de vendre des allumettes ou des crayons16 : l'essentiel est que "ça rapporte", le plus possible17.

     

    DES PISTES 

    Il faut travailler à une sortie du capitalisme, et développer d'autre formes d'économie, dans lesquelles les conditions de production et d'accès au biens et aux services seraient totalement repensées, pour permettre une distribution équitable de ces produits et préserver les équilibres naturels. Je pense notamment au travail des coopératives (quand elles ont une taille limitée), aux systèmes d'échange locaux (SEL), aux AMAP, etc.

    En attendant, j'ai envie de proposer à tout le monde ce mot d'ordre : reprenons du pouvoir en tant que consommateur ! Collectivement (via le regroupement dans des associations), mais aussi individuellement.

    Face aux commerçants, osons pas nous mettre sur le même pied d'égalité qu'eux ! Négocions les prix ! Demandons ce que l'on appelle en économie le calcul de la "formation des prix", la transparence des prix. Que les commerçantes justifient les prix qu'elles pratiquent, qu'elles nous disent pour quoi l'on paye (matières premières, énergie, salaires, frais...), et au final qu'elles affichent le revenu qu'elles retirent de la vente18. On verra bien alors qui est honnête et qui ne l'est pas !

     

     

    °°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°°

    NOTES ET PRECISIONS

    1  J'emploie la convention suivante dans ce texte : plutôt que d'être systématiquement au masculin, les mots sont alternativement au féminin et au masculin. Il y a des commerçants hommes et des commerçantes !

    2  Comme, dans une économie de marché, tout un chacun est obligé de travailler pour obtenir de l'argent, qui lui permet ensuite d'obtenir les biens et service dont il a besoin pour vivre.

    3  Jugement moral, oui. Pour moi l'enrichissement est comme un mal, parce qu'il se fait nécessairement aux dépends des autres. L'enrichissement est un phénomène de captation d'argent : les billets en liasse que le riche a dans ses poches a été pris à d'autres. Il y a des zones vers lesquelles l'argent converge pour s'accumuler, des zones où l'argent arrive de partout ailleurs. Les petits ruisseaux font les grandes rivières de diamants ! (comme diraient Brigitte Fontaine et Bertrand Cantat, cf. la chanson de Noir Désir "L'Europe").

    L'économie capitaliste est très bien représentée par le jeu Monopoly : au début, la masse de billets, la masse monétaire, est répartie à égalité entre tous les joueurs. Au bout de quelques tours, il y a un ou deux joueurs qui ont devant eux un gros tas de billets, et les autres dont le tas est tout maigre... Mais l'argent des gros tas est celui qui était dans les petits tas au début du jeu. Les billets sont passés de l'un à l'autre, doucement mais sûrement ! Et la partie s'arrête quand l'un des joueurs a saigné tous les autres ! A quoi tient la réussite ou l'échec dans ce jeu : principalement au hasard (des lancers de dés, des piochages...). Et pas spécialement au talent des joueurs...

    Enfin, dans la vraie vie c'est pire : au départ tous les joueurs n'ont pas le même capital en poche. Certains ont même déjà des hôtels...!!

    4  On a alors le même principe dans la location immobilière par exemple. La société accorde des revenus à des personnes à partir de la propriété. Je développerai peut être cet aspect un jour dans un autre article.

    5  Voir ce petit film fort intéressant sur le net (auteur : Paul Grignon).

    6  Pour certaines personnes, il faudrait aussi rémunérer le commerçant, comme tout entrepreneur, pour sa prise de risque (le risque qu'il prend à créer une activité qui peut sombrer rapidement). Il aurait le droit de pratiquer des marges confortables pour gagner beaucoup parce qu'il peut aussi perdre gros. Le raisonnement est très discutable. Il faudrait en quelque sorte faire porter sur les clients l'assurance tous risques du commerçant ? Pourquoi ne pas prévoir un autre dispositif d'assurance ? Et pourquoi continuer à pratiquer des prix indécents une fois que la période à fort risque est passée ?

    7  Principe qu'il conviendrait, dans des conditions à définir, d'appliquer au travail domestique, en particulier quand il est effectué par les femmes... Je précise toutefois que mon adhésion à ce principe n'est pas entière, et qu'elle ne vaut pas adhésion complète au principe du salariat. Ce dernier mériterait une réflexion critique approfondie, avec des perspectives sur les alternatives (revenu d'existence, bourse du travail...) qui nous amènerait inévitablement sur les questions essentielles mais éminemment complexes du travail et de la monnaie. Il faudrait alors voir comment on définit précisément ces notions, et au final réfléchir sur cette question primordiale : comment les individus, les familles, les groupes, assurent-ils leur survie et leur vie dans la société ? Comment se procurent-ils ce dont ils ont besoin ? Comment contribuent-ils à la production des biens et services nécessaires à l'ensemble de la société à laquelle ils appartiennent ? (c'est à dire à l'économie de la société). Là aussi, peut être le sujet de futurs articles ?

    8  Voir par exemple le tanker de pétrole qui change 30 fois de propriétaire entre son départ au Moyen-Orient et son arrivée en Europe. Il est vendu et revendu 30 fois, souvent par un simple clic sur un ordinateur, par des gens qui se font du bénéfice sur la vente ; sans autre forme de travail...

    9  Ce sont aussi des formes d'obsolescence programmée des produits. Sur ce sujet, je vous renvoie au livre publié par Serge Latouche en 2012 (je ne l'ai pas lu, mais je fais toute confiance à l'auteur pour la qualité de ses écrits).

    10  Le client se fait avoir, mais aussi le producteur initial, ne l'oublions pas (voir en particulier le cas des produits agricoles). Ceux qui profitent le plus de la vente ne sont ni le producteur initial du produit, ni son utilisateur final, mais les intermédiaires entre les deux...!

    11  Elles ont parfois le talent, précieux dans une société de consommation, de vous faire acheter ce dont vous n'avez pas besoin !!

    12  Il faudrait là aussi débattre sur les écarts de rémunération entre les différentes activités : ouvriers, médecins, instituteurs, nourrice, comptable, commerçants, ingénieurs, plombiers... Le parti de gauche introduit les notions de salaire maximal au niveau du pays (par l'imposition totale au delà d'un certain seuil) et d'écart maximal, au sein d'une entreprise, entre le salaire le plus bas et le salaire le plus élevé. Mais il faudrait réfléchir à ce qui fonde ses écarts de salaires. Question de valeurs...

    13  J'ai une petite pensée émue pour Pierre Joseph Proudhon, l'auteur de la célèbre formule "La propriété c'est le vol". Ses réflexions, assez largement méconnues et négligées, sont pourtant d'une très grande qualité. C'est un réel dommage que, dans les camps des économistes "socialistes" du XIXème siècle, Proudhon ait perdu la bataille des idées face à Marx.

    14  Regroupées en France dans le "code de la consommation". Consultable sur le site legifrance.gouv.fr.

    15  Avant la loi, selon les zélateurs de l'économie capitaliste libérale, il existe une parade aux abus des commerçants : les commerçants eux-mêmes ! A travers le mécanisme de régulation par la concurrence [en gros : si vous trouvez que c'est trop cher chez une commerçante, vous êtes libre de ne pas lui acheter ses produits, et d'aller voir ailleurs, chez son concurrent qui pratique des prix moins élevés. Si tout le monde faisait comme vous, pour ne pas perdre sa clientèle et continuer à vendre pour vivre, la première commerçante n'aurait d'autre choix que de baisser ses prix. "Le marché" finirait ainsi par se réguler naturellement, sans intervention autre que celle de la fameuse "main divine du marché", pour arriver à des prix justes, à la fois pour les clients et pour les vendeuses]

    Mais il faut avouer que cet aspect régulateur de la concurrence ne marche pas autant que l'on voudrait nous le faire croire, ou pas dans tous les secteurs de consommation. La consommatrice, même regroupée en association n'a pas autant de poids qu'une firme, ou qu'une branche professionnelle au sein de laquelle les commerçants se liguent ; elle ne peut donc peser que de façon limité sur les niveaux de prix. Ce sont les commerçants qui font le prix du marché, pas les clients : si les commerçantes décrètent que le prix d'un repas complet est à 15 €, il est à 15 euros ; le client ne trouvant rien ailleurs de bien moins cher que cela, il n'a d'autre choix que de payer ce prix là.

    16  Je trouve moralement gênant c'est que cette activité n'ait pour seul but que l'enrichissement, que la motivation des commerçantes réside uniquement dans l'appât du gain, la cupidité. S'il faut travailler pour vivre ou survivre, j'ose espérer qu'étant donné le temps que l'on passe au travail, le travail que l'on a choisi de faire fait du sens pour nous , qu'il nous apporte aussi quelque chose dans le domaine de l'être (goût pour tel type de produit ou de service, goût pour le contact humain, besoin d'être utile,...) et pas seulement dans le domaine de l'avoir. La prédominance de l'avoir sur l'être me paraît être un des traits caractéristiques les plus critiquables de l'époque moderne, et la métamorphose correspond justement à l'inversion de cette tendance. Voir l'article Le monde d'aujourd'hui et le monde de demain

    17  D'où le choix de se diriger vers des domaines les plus rentables possibles, qui peuvent rapporter gros.

    18  La mise en pratique d'une telle proposition paraît peut être difficile ; mais je pense qu'elle est tout à fait abordable. Il s'agirait de demander au commerçant de produire, d'afficher, des informations dont ils disposent déjà (d'évidence ils connaissent tous très bien leur marge).

     

     


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :