• Violences sexuelles faites aux femmes : bienfaits et limites de la parole libérée

     

    J'y vais moi aussi – enfin ! – de mon petit couplet sur les violences faites aux femmes. Parce que ce sujet et plus largement la question des rapports hommes-femmes me paraissent très importants. Je m'intéresse beaucoup à la question de l'altérité, or la différence homme-femme est l'une des premières altérités à gérer au sein de la société...

     

    On ne peut que se réjouir que, selon l'expression consacrée, la parole se soit libérée à ce sujet depuis l'automne 2017. C'est l'amorce d'un beau progrès. La donne a déjà changé, alors, réjouissons-nous !

     

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    BIENFAIT n°1 : l'ouverture d'un débat sur tout la planète

     

    Il est assez saisissant qu'une affaire impliquant un producteur de cinéma états-unien, qui était inconnu du grand public, ait conduit en quelques semaines à mettre sur la place publique la question des violences sexuelles subies par les femmes ; qu'une affaire concernant un microcosme fermé et ultra-privilégié ait fini par parler de ce que vit Mme ToutLeMonde aux quatre coins de la planète ! (a minima dans les pays occidentalisés). Et plusieurs mois après l'affaire Weinstein, le débat est toujours vivant...

     

    BIENFAIT n°2 : des violences sexuelles aux violences tout court

    Au-delà des violences sexuelles, cette affaire a légitimement réouvert le débat sur la question des violences faites aux femmes par les hommes (voir ici les différentes formes de violence) et, encore plus largement, sur la question de la domination masculine et des inégalités hommes-femmes, et même celle des rapports homme-femme (comment vivons-nous ensemble ?).

    La suite de cet article est plutôt centrée sur les violences sexuelles.

     

    BIENFAIT n°3 : le retour a la dignité

     

    D'ordinaire, semble-t-il, les victimes d'agressions sexuelles, ressentent de la honte et ont du mal à dire qu'elles ont été agressées, conférant ainsi, malgré elles, l'impunité à l'auteur des faits. Une chape de plomb se dépose sur la souffrance. L'agression devient un secret enfoui.

     

    Or, depuis l'affaire Weinstein, de nombreuses femmes se "permettent" de parler des agressions et violences qu'elles ont subies. On ne peut que se réjouir de cette brèche ouverte dans le mur du silence et de la résignation. J'ai du mal à comprendre pourquoi c'est cette affaire-là, à ce moment-là, en 2017, qui a permis cette petite révolution (la goutte d'eau qui fait déborder le vase ?), mais le fait est que les choses ne seront plus jamais les mêmes : désormais la parole des femmes est autorisée, libérée sur ces sujets.

     

    Or, pour les femme violentées qui parviennent à le faire, s'exprimer c'est relever la tête et recouvrer la dignité. Je pense que ces nombreuses femmes qui parlent de leur agression se sentent mieux désormais ; soulagées d'avoir avoué la vérité, d'avoir surmonté leur honte. C'est déjà une très bonne chose en soi !

     

    Et ces femmes permettent à d'autres victimes d'oser parler elles aussi, demain, un jour ; de plus en plus nombreuses, par effet boule de neige. Les victime ne se sentent plus seules, isolées dans leur souffrance, mais désormais en prise avec elle, grâce à l'aide des autres. C'est toute la communauté féminine qui se renforce. Je pense qu'elle en a besoin...

     

    BIENFAIT n°4 : mettre en lumière un grave problème social

     

    Le remous qui s'est produit dans l'espace public est venu mettre en lumière plusieurs choses :

    • dans nos sociétés, "les femmes", y compris dès leur plus jeune âge, subissent des formes diverses de violences exercées par "les hommes"  (voir ici les différentes formes de violence) 

    • ces violences se produisent partout : dans l'espace public (au travail, dans la rue, dans les transports au commun...) et à la maison (par l'entourage)

    • ces méfaits sont relativement communs / fréquents ;

     Pour ne citer qu'un seul chiffre : lors d'une enquête statistique menée en France en 2015, un quart des femmes a déclaré avoir subi au moins une violence au cours des douze derniers mois1 ; ce sont donc des centaines de milliers de femmes qui sont concernées !

    •  Ces violences touchent des femmes de tous âges et de toute catégorie sociale (actrices hollywoodiennes payées à prix d'or, caissières de supermarché, cheffes d'entreprises, étudiantes...).

     

    La "libération de la parole" depuis l'automne 2017 nous a amené à une prise de conscience collective – femmes et hommes confondus – et elle nous interpelle : elle nous permet de nous rendre compte qu'il y a là un sérieux problème social ! En croisant la fréquence des agressions et la gravité de leurs conséquences, on arrive en effet à un niveau de "risque" élevé pour la population féminine, au quotidien.

     

    BIENFAIT n°5 : nous rappeler cette vérité : les hommes sont des cochons ! 

     

    L'affaire Weinstein et ses suites, mais aussi la persistance de la prostitution et la e développement de la pornographie grâce à Internet, mettent également en lumière ces 2 vérités :

    •  une proportion significative des hommes est habitée par des pulsions sexuelles relativement intenses (lubricité2) ;
    • et une partie d'entre eux ne les maîtrise pas totalement, pas toujours... et "franchit la barrière" régulièrement, avec des conséquences plus ou moins graves.

     

    La lubricité des hommes est (était) pourtant connue de toutes et de tous, mais elles est (était) comme tue, comme un tabou. On en plaisante même parfois. La parole libérée des derniers mois brise enfin le tabou. Elle claironne cette vérité qui était passée sous silence, presque niée. Et elle peut conduire chaque homme à s'interroger sur son rapport aux femmes et sur le contrôle de ses propres pulsions sexuelles.

     

    Oui, c'est déjà une bonne chose de mettre au jour la vérité et les problèmes, même les plus évidents, de se dévoiler la face et de regarder les choses en face. On ne résout pas un problème sans s'intéresser à ses causes. Ce n'est pas la solution au problème, mais c'est un point de départ...

     

    BIENFAIT n°6 : exprimer une règle sociale fondamentale

     

    Ce qui s'est exprimé à travers la libération de la parole des derniers mois, c'est le refus des violences (sexuelles) faites aux femmes par les hommes3, malgré leur caractère immémoriel.

     Au-delà de ce refus, c'est l'expression salutaire d'une règle sociale : "Ce type de comportement constitue une offense ; c'est mal, c'est inacceptable, et répréhensible. On ne fait pas ça. On ne doit pas faire ça. A personne.".

     

    C'est une grande victoire que ces milliers de paroles libérées aient amené à formuler publiquement, collectivement, un tel message ; à affirmer ce qui se fait et ce qui ne doit pas se faire. Ces femmes disent le droit. Elles érigent cette règle comme une loi de la société, visant le bien-être et la sécurité des femmes, la justice, le respect, et le (bien) vivre ensemble.

     

    Une loi qui n'a pas forcément besoin d'être écrite pour s'appliquer. L'essentiel est que chacun la connaisse. Une loi qui indique aux hommes la ligne rouge à ne pas franchir. Une loi qui autorise les victimes à se défendre. Une loi qui motive également les témoins d'agressions à intervenir, plutôt que de détourner le regard.

     

    Bien sûr, si les institutions politiques s'approprient les paroles et les aspirations de ces citoyennes, de vraies lois pourront être construites pour renforcer le corpus des outils existants, afin de prévenir les agressions, de protéger les victimes, et de punir les coupables.

     

    Si la parole s'est libérée c'est que la règle impérieuse du respect dû aux femmes a acquis enfin une entière légitimité et qu'elle prend enfin le pas sur la honte, la peur et la résignation. Comme on l'a dit souvent, la libération des paroles permet effectivement à la honte de changer de camp. Elle rétablit le juste ordre des choses. Et elle montre un ardent désir de voir la société évoluer. Là aussi, ce n'est certes pas suffisant, mais c'est un point de départ...

     

    BIENFAIT n°7 : faire bouger les lignes 

     

    On ne peut que se réjouir de l'apparition de ces débats. L'arrivée en force de ces questions sur la place publique oblige les institutions politiques mais aussi l'ensemble des citoyens et de la société à se pencher sur ces questions et à les examiner ; à réagir ; à avancer ; pas après pas.

     

    Bien sûr, suivant la grande loi "action et réaction4", cette libération de la parole des femmes ne fait pas que des heureux, et elle suscite des résistances assez vives... La règle dont je parlais plus haut n'est pas admise par 100 % de la population ; certains ne veulent pas en entendre parler... Voir la page "Moralisation ou auto-limitation de la société ?"

     

    Ces débats poussent les défenseurs.seuses de l'ancien monde dans leurs retranchements. Ou bien ils.elles s'accrochent dur comme fer, ou bien ils.elles cèdent du terrain et évoluent. Ces débats obligent chacun à prendre position. Ils peuvent permettre au final d'aboutir à un relatif consensus sur ce qui n'est plus acceptable aujourd'hui au sein de la société et sur ce qui doit changer. Comme la fièvre est le signe que notre corps combat une infection, la vivacité des débats témoigne de la sensibilité et de l'importance de la question ; cela montre que la société travaille sur elle-même. Le combat pour le respect des femmes n'est pas encore gagné, mais ces débats sont, eux aussi, un point de départ pour avancer dans cette direction.

     

    LIMITE n°1 : de la dénonciation à la délation, du témoignage à la vengeance

     

    Sur les réseaux sociaux, un mot d'ordre comme #MeToo par exemple visait à inciter les victimes de violences à témoigner, afin que le nombre de réponses montre à l'ensemble de la société l'ampleur du problème. Je considère cela comme un objectif louable (voir bienfait 4). Cependant, les appels à témoignages et la libération de la parole ont rapidement dérivé. En France, par exemple, le fameux site Internet "Balance ton porc" s'est même créé avec l'objectif explicite que les victimes, non seulement témoignent de leur agression, mais qu'elles désignent publiquement l'auteur des faits.

     

    Je crois que la libération de la parole correspond à un désir de justice de la part des victimes, qui est bien compréhensible, à la hauteur du mal subi. L'expression publique5 constitue d'abord un moyen de se soulager de sa peine, de sa souffrance.

     

    Mais le pas est vite franchi entre le désir de justice et le désir de revanche, de vengeance. Si la peine qu'est susceptible de subir la personne qui est dénoncée est l'objectif recherché, et pas un effet secondaire, on est dans la délation, et pas dans la dénonciation (voir la distinction ici). Internet et les réseaux sociaux engendrent une grande désinhibition, et deviennent souvent le lieu du défouloir et la foire au grand n'importe quoi.

     

    Je ne vois que des bienfaits à dénoncer des actes, à dénoncer le système de domination des hommes sur les femmes, et la part de la classe masculine qui commet des atteintes à la dignité des femmes. Mais je ne suis pas favorable à la dénonciation des personnes sur la place publique, et en particulier sur internet ; cette dénonciation publique s'apparente à de la délation ; elle revient à se faire justice soi-même, comme dans le Far-West. Car il y a évidemment un écueil dangereux : c'est que des personnes soient jugées et châtiées de manière expéditive, brutale et disproportionnée par l'opinion publique (vindicte populaire) ; avec des conséquences parfois fort regrettables sur ces personnes et leurs familles, d'autant plus regrettables si l'accusation a été portée à tort...

     

    Les auteurs présumés de comportements condamnables doivent être dénoncés aux forces de l'ordre uniquement. Cette institution a été créée pour cela : pour régler les conflits interpersonnels ; il est nécessaire que ce tiers intervienne pour juger l'affaire. En effet, au moins en théorie, le traitement par l'institution judiciaire permet d'établir les faits, les circonstances et les intentions ; il garantit le droit du prévenu de présenter sa version des faits et de se défendre ; il garantit au final à la victime d'obtenir justice, au travers d'un jugement loyal et équitable, à la hauteur des actes commis, et reconnu par l'ensemble de la société (c'est officiel).

     

    LIMITE n°2 : La route est encore longue...

    Si la libération de la parole peut permettre à la honte de changer de camp, en revanche, et malheureusement, la peur, elle, risque de ne pas changer de camp tout de suite. La peur pour les femmes d'être agressées risque de rester inférieure à la peur pour les hommes d'être condamnés pour leurs méfaits.

     

    Je pense aux peurs ressenties par les femmes alors qu'elles se déplacent seules, spécialement à la nuit tombée. Je ressens toute cette insécurité et je la trouve insupportable alors que je ne la subis pas moi-même !! Même si je peux, comme tout un chacun, me faire agresser pour des raisons diverses et variées, les femmes auront toujours plus de raisons de s'inquiéter que les hommes...

     

     

    Conclusion : DES SOLUTIONS ?

     

    Face à cet état de fait, on peut penser, dans un objectif de protection, à former le plus grand nombre de femmes possible à l'auto-défense.

    On ne peut également que souhaiter que notre dispositif répressif atteigne enfin un haut niveau d'efficacité ; c'est à dire que les victimes aillent porter plainte, que ces plaintes soient entendues et instruites, et jugées, et que les auteurs soient punis. Il faut pouvoir rendre justice en matière de violences faites aux femmes (sexuelles et autres) ; pour les victimes, pour les auteurs de faits répréhensibles, et aussi dans une perspective de dissuasion.

     

    Mais il me semble surtout primordial d'engager des actions de prévention.

    On peut notamment essayer de modifier l'image des femmes véhiculées par les médias, et notamment par la publicité et les clips, qui contribue à forger un imaginaire collectif déplorable. Voir aussi mes réflexions sur ce que je suis tenté d'appeler l'exhibitionnisme moderne.

     

    Mais la première des actions consiste probablement à éduquer les garçons à se contrôler, à contrôler leurs pulsions sexuelles. A ne jamais, jamais "franchir la barrière" sans le consentement de l'autre. Apprendre à freiner, à s'arrêter avant. C'est un devoir.

    Leur transmettre cette valeur du respect. Le respect absolu de la zone interdite : l'intimité et l'intégrité de l'autre. Le respect de quelque chose de sacré. C'est un impératif pour permettre aux hommes et aux femmes de vivre ensemble dans de bonnes conditions (sécurité, sérénité, respect, estime mutuelle...).

    Plus largement (par rapport aux comportements machistes notamment), il est encore nécessaire d'insister sur l'égalité homme-femme : une femme vaut autant qu'un homme. De reconnaître, en droit comme en fait, l'égalité entre les hommes et les femmes, au-delà des différences.

    Ce sont des objectifs importants de la métamorphose.  Si le côté bestial des hommes perdure depuis des siècles, il nous reste toutefois la possibilité (le devoir ?) de nous éloigner de l'animal pour devenir davantage des hommes.

     

     

    °°°°°°°°°°°°°

     

     

    2 La lubricité des hommes me semble comme une prégnance d'un mode de fonctionnement archaïque, animal, bestial. Un vestige. Voir la page "Ces animaux que nous sommes encore".

     

    3 Ces violences sont refusées par les femmes en général, mais aussi par une proportion non négligeable des hommes...

     

    4 Toute force exercée dans un sens génère une force de même intensité exercée en sens contraire.

     

    5 Ex-pression : on fait sortir au dehors ce qu'on a dedans de soi.

     

     


  • Commentaires

    1
    Sergio
    Dimanche 3 Juin 2018 à 15:28

    Article intéressant et nécessaire en ces temps de remue-méninges sur les remue-ménages des couples "masculin féminin" et pas queue... Je m'excuse pour la vulgarité. mais je m'explique : les agressions sexuelles sont majoritaires dans tous les couples quand "l'un à envie et pas l'autre". Il y en a toujours un qui cède pour faire plaisir à l'autre sans que son plaisir (à elle ou lui) ne soit éprouvé. Cette discussion est celle de tout rapport dominant-dominé. Ou de promiscuité. C'est quelque-chose qu'ignorent les solitaires. Cela changera quand une femme vaudra un homme. Secundo l'être humain est une usine chimique. Les hormones ont un rôle considérable à jouer. Et il ne faut pas s'y tromper une femme peut désirer un homme afin d'être mère plus fortement qu'un homme peut désirer une femme pour assouvir son plaisir. Ce qui me semble essentiel c'est la parole, le dialogue et l'échange. Nous devrions tous pouvoir nous dire sans honte. La honte résulte du fait que l'on nous a asséné la morale comme une vérité absolue et la honte résulte du sentiment que nous sommes différents d'autrui. Or la morale sert toujours l'ordre bourgeois avec la transmission nécessaire de l'héritage et la différence - n'en déplaise aux amateurs de race pure - est une richesse : tant de grandes femmes (Margueritte de Yourcnenar, Christiane Taubira, Simone Veil, etc ) et tant de grands hommes (Alexandre le Grand, Cocteau, Gandhi, Aimé césaire  etc. ) sont lumineux ou assumés !  Assumons ce que nous sommes comme nous le sommes et nous y verrons déjà plus clair...

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